Guerre d’Algérie

Ce qu’il faut retenir du rapport Stora remis aujourd’hui à Emmanuel Macron. Commandé en juillet dernier par l’Elysée pour réconcilier les mémoires autour de la colonisation et la guerre en Algérie, le rapport de l’historien Benjamin Stora est remis mercredi à Emmanuel Macron.

Source: France Info

L’historien Benjamin Stora, spécialiste reconnu de l’histoire contemporaine de l’Algérieremet mercredi 20 janvier dans l’après-midi au président de la République Emmanuel Macron le rapport que ce dernier lui avait commandé en juillet pour “dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie”. Si Emmanuel Macron a d’ores et déjà exclu de présenter des excuses ou se repentir, il devrait suivre, selon l’Elysée, l’essentiel des préconisations du rapport. Emmanuel Macron candidat à l’élection présidentielle avait déclenché la polémique en France en qualifiant la colonisation en Algérie de “crime contre l’humanité”.

Ces propos, il ne les regrette pas, précise l’Elysée. “Emmanuel Macron entend regarder l’histoire en face” pour construire une mémoire commune et apaisée, explique-t-on rue du Faubourg Saint-Honoré. Mais il n’y aura pas d’excuse, comme le réclame le gouvernement algérien, pas de repentance. “La repentance est une vanité. La reconnaissance est une vérité. La vérité est dans les actes”, assène l’Elysée. Outre la panthéonisation de Gisèle Halimi, avocate, militante et opposante à la guerre d’Algérie, Benjamin Stora propose une trentaine de préconisations.

Davantage commémorer

Pour impulser une dynamique d’initiatives commune entre la France et l’Algérie, Benjamin Stora propose de constituer une Commission “Mémoires et vérité”, chargée notamment de recueillir la parole des survivants de la guerre, des deux côtés de la Méditerranée. Il invite par ailleurs à poursuivre les commémorations, comme celle du 19 mars 1962, qui avait été demandée par plusieurs associations d’anciens combattants à propos des accord d’Evian, premier pas vers la fin de la guerre d’Algérie. Parmi les autres propositions de commémorations, il propose par exemple la date du 25 septembre, journée d’hommage aux harkis, ou encore celle du 7 octobre 1961 épisode de répression des travailleurs algériens en France. L’historien propose en outre la construction d’une stèle en hommage à l’Emir Abdelkader, au moment du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2022, et de restituer son épée à l’Algérie.

Honorer la mémoire des morts

Il s’agira aussi, pour Benjamin Stora, d’honorer la mémoire de ceux qui ont perdu la vie lors de la guerre. En reconnaissant, par exemple, l’assassinat d’Ali Boumendjel, avocat, ami de René Capitant, militant du FNL, assassiné pendant “la Bataille d’Alger” de 1957. Il propose aussi de publier un “Guide des disparus” de la guerre d’Algérie, algériens et européens, et d’intensifier l’identification des emplacements où furent inhumés les condamnés à mort exécutés pendant la guerre. Cela permettrait à l’Algérie, explique-t-il dans son rapport, de poursuivre les démarches entreprises à la fin des années 1960 pour récupérer les corps des Algériens morts en France pendant la guerre.

L’auteur du rapport préconise par ailleurs de faire des quatre camps d’internement situés sur le territoire français des lieux de mémoire. À partir de 1957, des milliers d’Algériens ont ainsi été internés administrativement en France dans le camp du Larzac (Aveyron), celui de St-Maurice l’Ardoise (Gard), celui de Thol (Rhône) et celui de Vadenay (Marne). Il propose d’apposer des plaques à proximité de chacun de ces camps pour rappeler leur histoire.

Renforcer la coopération France-Algérie

Comme condition à l’apaisement, Benjamin Stora pose la condition nécessaire d’une coopération renforcée entre la France et l’Algérie. Ainsi propose-t-il d’achever les travaux du comité mixte d’experts scientifiques algériens et français chargés d’étudier les restes humains de combattants algériens du XIXème siècle conservés au Muséum national d’Histoire naturelle. Il préconise que la France et les autorités algériennes facilitent les déplacements des harkis et de leurs enfants entre les deux pays.

Faciliter le travail d’archive

Il s’agira aussi, selon Benjamin Stora, de faire la lumière sur les enlèvements et assassinats d’Européens à Oran en juillet 1962, et entendre la parole des témoins de cette tragédie. Une commission mixte d’historiens français, et algériens pourrait en être chargée. Benjamin Stora invite aussi à la déclassification des documents “secrets” déjà archivés antérieurs à 1970. Des facilités de visas et des bourses pourraient être proposées à des étudiants en thèse algériens pour qu’ils effectuent des recherches dans les fonds d’archive en France, et faire bénéficier des étudiants français du même régime en Algérie. Enfin, le spécialiste reconnu de l’histoire contemporaine de l’Algérie invite à la création d’une collection “franco-algérienne” dans une grande maison d’édition pour favoriser la diffusion des travaux des historiens.

Mieux enseigner la période aux jeunes

Il s’agira, selon le rapport, d’accorder, dans les programmes scolaires, plus de place à l’histoire de la France en Algérie. Ainsi, en plus de ne plus traiter de la guerre sans parler de la colonisation, le rapport propose de généraliser cet enseignement à l’ensemble des élèves, y compris dans les lycées professionnels. Un office franco-algérien de la Jeunesse, chargé principalement d’impulser les œuvres de jeunes créateurs, pourrait être créé.

Autres préconisations

Parmi les autres préconisations de Benjamin Stora figurent une invitation à donner à des rues de communes françaises des noms de personnes issues de l’immigration et de l’outre-mer, et inscrire des noms de Français particulièrement méritants, en particulier médecins, artistes, enseignants, issus de territoires antérieurement placés sous la souveraineté de la France. Il préconise aussi l’organisation d’une grande exposition sur les mouvements d’indépendance  et d’un colloque sur le refus de la guerre. Enfin, le spécialiste de l’histoire algérienne propose de créer une commission franco algérienne d’historiens chargée de d’établir l’historique du canon “Baba Merzoug” ou “La Consulaire”, qui se trouve actuellement à Brest après avoir été rapporté d’Alger en 1830, et formuler des propositions partagées quant à son avenir, “respectueuses de la charge mémorielle qu’il porte des deux côtés de la Méditerranée”.

Mémoire franco-algérienne : à Alger, l’opinion demande une réparation à l’écart des récupérations officielles

Dans les rues de la capitale de l’Algérie, nombreux sont ceux qui pensent qu’une véritable réconciliation passe par des « excuses » de la France.

Par Safia Ayache(Alger, correspondance)

Source: Le Monde

« Les excuses, ils peuvent les garder, pour moi ça ne veut rien dire. Moi aussi je peux tuer quelqu’un et réclamer le pardon. Est-ce que vous l’accepteriez, vous ? Non, il faut des réparations financières et morales », lâche tout de go Mohamed, un natif de Constantine, plus grande ville de l’Est algérien.

Ce sexagénaire dont la famille paternelle a vécu à Tébessa, dans l’extrême est de l’Algérie, reste marqué par l’histoire d’un oncle qu’il n’a pas connu. « Le petit frère de mon père est mort à l’âge de 10 ans quand il a explosé sur une mine à Tébessa. Il croyait que c’était un jouet, elle lui a éclaté à la figure. C’est mon autre oncle qui l’a pris sur ses épaules. Ils l’ont amené à l’hôpital mais c’était trop tard, il avait perdu trop de sang », raconte Mohamed.

L’histoire remonte aux années 1950, en pleine guerre d’Algérie, quand la France a installé des lignes de défense, baptisées lignes Morice et Challe, le long de la frontière algéro-tunisienne. A l’époque, l’armée française a posé des millions de mines antipersonnel et d’engins explosifs sur une distance de 460 kilomètres, entre Annaba et Tébessa. L’objectif ? Mettre fin à l’infiltration de combattants algériens, chargés notamment du ravitaillement en armes des maquis intérieurs, depuis les bases arrière tunisiennes de l’Armée de libération nationale.

Selon les autorités algériennes, ces engins explosifs ont fait 4 830 victimes durant la guerre d’Algérie et près de 2 500 autres entre 1962 et 2017, date à laquelle le déminage des zones concernées s’est achevé. Il aura fallu attendre 2007 pour que la France remette aux autorités algériennes la cartographie des mines antipersonnel.

Indemniser les victimes

Du côté sud de la Méditerranée, la question mémorielle revêt toujours une importance significative. Pour certains Algériens, son règlement passe par la présentation d’excuses officielles. « C’est un impératif et je dirais même que ça n’a que trop tardé, après soixante ans d’indépendance », estime Achwak*. Cette trentenaire, qui travaille dans l’édition, est installée à la terrasse d’un café face à l’imposante Grande Poste d’Alger, un édifice néomauresque près duquel les partisans de l’Algérie française se réunissaient régulièrement lors des crises politiques qui ont marqué la fin de la période coloniale.

« Les excuses apaiseront les esprits, mais il y a aussi la question des victimes des essais nucléaires de Reggane [menés entre 1960 et 1966 dans le Sud algérien], qui endurent encore des séquelles. Il faudrait qu’elles soient indemnisées », ajoute Achwak. Sans cela, l’Algérie et la France ne pourront jamais « ouvrir une nouvelle page, poursuit-elle. Ça se transmet de génération en génération. Si quelqu’un a un père qui a été victime, alors il vivra toujours avec ce préjudice porté à l’un de ses parents », soutient la jeune femme.

Pour Mohamed, la question de l’indemnisation des victimes est aussi primordiale. « Les familles des juifs déportés durant la seconde guerre mondiale ont obtenu des réparations financières. Nous attendons la même chose afin que la France sache que la guerre a un coût. »

Mais « si indemnisation il y a, il faudrait qu’elle soit directement octroyée aux victimes », explique Ameur*, un entrepreneur de 27 ans dont les locaux sont situés à deux pas de la présidence algérienne. « Indemniser les victimes des radiations nucléaires, c’est le minimum. Mais ils ne devraient rien donner à l’Etat », poursuit Ameur. Sa famille aussi a été marquée par la guerre d’indépendance algérienne. « Mon père est fils de chahid [martyr], ça l’aiderait de voir que la France reconnaît les faits, mais il n’a pas de ressentiment. Maintenant, nous en sommes à la troisième génération, il faut fermer ce chapitre et aller de l’avant. »

Instrumentalisation

Face à lui, son ami Smail*, 23 ans, ne considère pas les excuses comme un préalable à la réconciliation entre les peuples algérien et français. « La population doit se concentrer sur les relations économiques et non historiques. Pour ce qui est de la mémoire, c’est une question populiste que nos leaders utilisent pour avoir plus de soutien », explique ce jeune diplômé en science politique.

Ameur et Smail, tous deux engagés dans un parti politique d’opposition, pensent que les pouvoirs successifs ont toujours instrumentalisé la question mémorielle. « A l’époque de Bouteflika [l’ancien président chassé du pouvoir en 2019 par le mouvement de protestation populaire du Hirak], les autorités travaillaient déjà sur la récupération des crânes [de résistants à la colonisation tués par les Français dans les années 1840 et 1850, longtemps conservés à Paris], donc ce n’est pas Tebboune qui a demandé et obtenu leur restitution. Mais il l’a bien utilisée pour gagner en légitimité. »

Le chef de l’Etat algérien, Abdelmadjid Tebboune, élu en décembre 2019 dans un climat de contestation que seule la pandémie de Covid-19 a pu atténuer, était présent lors de l’inhumation officielle des 24 crânes restitués par la France. La cérémonie, retransmise en direct à la télévision nationale, a été organisée le 5 juillet dernier, date de la fête d’indépendance.

« Il utilise l’histoire algérienne. C’est aussi pour cela qu’il a choisi le 1er novembre [jour férié marquant le déclenchement de la guerre d’indépendance] comme date symbolique pour faire passer sa Constitution. La récupération a toujours été là chez les putschistes, incluant Boumédiène [figure de la guerre d’indépendance devenue chef du gouvernement puis président de la République]. Tous ces éléments du FLN [Front de libération nationale, ancien parti unique] ont récupéré l’histoire algérienne pour le culte de leur personnalité, pour leurs propres intérêts et non celui du peuple algérien », tranche Mohamed.

Pour sa part, Achwak reste confiante dans la lucidité du peuple algérien. « Le jour où on a rapatrié les crânes, les gens se sont exprimés pour dire que ce n’est pas une faveur qui nous a été faite. La mémoire est collective, elle n’appartient pas à untel ou untel ni au gouvernement. »